Dorra Ismaïl Dellagi
Architecte et entrepreneure engagée
N°41 : Dorra fondatrice de Qaws et Ebniecolofrance

Dans ce nouvel épisode d’À vous le Micro-Commerce, rencontre Dorra Ismaïl Dellagi, architecte et entrepreneure engagée, fondatrice de QAWS© et ebniecoloFRANCE 🌿🏗️ De l’enseignement à la création d’un projet d’éco-construction enraciné dans les pratiques locales, Dorra retrace un parcours inspirant, porté par l’innovation et la résilience. Elle imagine un futur où l’architecture s’adapte aux territoires, où construire, c’est aussi transmettre et respecter 🌍 Entre écologie, savoir-faire et entrepreneuriat responsable, découvre son histoire, ses convictions, et ses conseils pour construire autrement.

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Bienvenue à tous ceux qui sont curieux de découvrir des récits inspirants d’hommes et de femmes entrepreneurs. Ici, vous êtes sur microco.com, dans notre podcast « À vous, le micro-commerce ». Chaque mois, on s’entretient avec un entrepreneur pour découvrir son parcours et les coulisses de son activité. Quels sont ses défis ? Les obstacles qu’il ou elle a rencontrés ? En bref, comment s’organise son quotidien ?

Partons à la rencontre de Dorra Ismaïl, qui s’est lancée dans l’architecture enracinée, durable et innovante. C’est parti ! Bonjour Dorra.

Salut !

Bienvenue dans notre podcast « À vous, le micro-commerce ».

Merci, merci pour l’invitation.

Avec grand plaisir. Avant de nous parler de QAWS et d’Ebniecolo, est-ce que tu pourrais nous parler un peu de ton parcours ?

Je suis architecte de formation. J’ai enseigné pendant plus de vingt ans à l’école d’architecture de Tunis, à Sidi Bou Saïd. En tant qu’architecte, j’ai toujours ressenti qu’il manquait quelque chose. Je l’ai encore plus perçu à la fin des années 1990, en confrontant ma pratique à mes étudiants. Dans notre manière d’enseigner et de penser l’architecture, on reste tributaires d’une approche très formaliste : ce qu’on voit de l’architecture importe plus que le reste. Or, ma compréhension de l’architecture a toujours été autre chose : la simplicité, une forme monolithique, la sobriété.

Enfant, j’ai beaucoup vécu avec ma grand-mère et j’ai appris d’elle une sensibilité écologique. Cela m’a marquée : aller vers l’essentiel, construire non pas seulement une belle forme, mais quelque chose de viable, durable et peu gourmand énergétiquement. Cette équation m’habite depuis toujours. J’ai tenté de la transmettre ; parfois j’ai réussi, parfois c’était plus difficile. Enseigner l’éco-construction exige un écosystème prêt à l’accueillir : on ne change pas une pédagogie du jour au lendemain. J’ai longtemps été confrontée à ça, tout en multipliant les tentatives.

Tu as aussi publié et accompagné des doctorants, non ?

Oui. J’ai publié, j’ai mené des travaux avec mes étudiants — notamment en doctorat — pour les sensibiliser et approfondir ces questions. Mais j’avais le sentiment de ne pas impacter assez. Pendant le Covid, en 2020, avec mon associé, on a lancé ebniecolo.tn : une plateforme née aussi des questions de mes étudiants qui me disaient « Vous parlez d’éco-construction et d’architecture durable, mais il n’y a pas de site, pas de plateforme ». Ça m’a poussée à sortir du seul cadre universitaire pour aller vers la valorisation, la formation, le terrain.

Concrètement, la plateforme fait quoi ?

C’est un réseau : si vous voulez construire en pierre, on vous indique les entreprises et savoir-faire disponibles, région par région. L’idée est de mettre en relation et de valoriser l’éco-construction, pas de « donner des recettes ». On insiste plutôt sur la posture : être éco-responsable, c’est d’abord être local. Ne pas importer des formes et des matériaux « venus d’ailleurs ».

On l’a montré par des projets et des chantiers-écoles in situ. Par exemple, nous avons travaillé avec la BTC (brique de terre comprimée) comme élément porteur, ce qui était innovant. Nous avons eu la chance de trouver des clients courageux qui nous ont suivis, car le BTP est un milieu conservateur, très résistant au changement.

Quel impact avez-vous constaté avec Ebniecolo ?

Un impact social d’abord. J’ai été incubée, lauréate d’Afkar en Tunisie ; nous avions gagné 10 000 €, ce qui nous a aidés à lancer des cycles de formation. L’impact est réel mais lent : les gens commencent à comprendre ce qu’est un système voûté, un matériau naturel, à base de chaux ou de plâtre, et qu’on n’enduit pas une pièce intérieure au ciment, par exemple.

On a contribué à changer le langage et à sensibiliser à d’autres possibles : il n’y a pas que le ciment et le béton. On a aussi incité à penser local : on ne construit pas pareil au sud et au nord ; les climats, topographies et ressources diffèrent (pierre, gypse, terres de qualité, etc.). L’éco-construction, c’est repenser l’architecture avec l’intelligence locale — savoirs, savoir-faire, matériaux. Cette dimension anthropologique m’a beaucoup appris : les freins, difficultés, le temps nécessaire pour changer les mentalités.

Revenons un peu en arrière, avant 2020…

Oui. Une étape clé : ma rencontre avec mon compagnon, devenu mon mari, Mehdi. Il vient du patrimoine (École de Chaillot) ; moi, de l’université, de la recherche et de la pratique. Nos compétences différentes se complètent autour d’un même sens. Grâce à cette rencontre, on a commencé des projets ensemble.

L’un d’eux a été déclencheur pour QAWS : en 2010, une villa-auberge pour ma sœur, près d’un lac. On voulait expérimenter une construction monolithique avec deux grandes voûtes : 7,60 m sous clef et 14 m de diamètre. On a voulu recourir aux techniques anciennes (opus spicatum, « épis de blé » / « arête de poisson »). Le défi : zéro point d’appui (pas de poteaux) pour une voûte gigantesque. Même le maître maçon ne pouvait pas la monter sans appuis.

On voulait réduire au maximum le béton : ne l’utiliser qu’en dernier recours. Après des échanges avec entreprises et ingénieur (bois ? résine ?), on a opté pour une nervure en acier, un double coffrage en brique puis un coulage. Et là, déclic : la voûte permet beaucoup de géométries. La nervure, c’est un coffrage/génératrice. Comment produire ces génératrices avec un autre matériau, rapide, moderne, adapté aux technologies numériques, permettant toutes formes ?

On s’est rendu compte qu’on tenait un exploit technique et économique : construction rapide, coûts contenus, structure légère qui fait réfléchir autrement le constructif. C’est le point de départ de l’aventure QAWS (qui germera plus tard).

Quand avez-vous formalisé l’innovation ?

À partir de 2013-2014, on a suivi un parcours entrepreneurial. On a d’abord obtenu une certification du Centre technique des matériaux en Tunisie qualifiant le système de novateur (sur la maison). En 2014, on a construit notre business model et déposé un brevet (obtenu en 2015, avec extension internationale). On a toutefois mis en pause : ces projets demandent beaucoup de moyens.

En 2014-2015, on s’est orientés vers le bioplastique et l’injection-compression (plus robuste que l’injection classique). On a exploré un partenariat en France (à Lyon). Mais l’investissement nécessaire était de 3 à 5 M€ — hors de portée. Cette confrontation à l’industrie nous a fait mûrir.

En 2019-2020, année charnière (Covid), on a maîtrisé l’impression 3D en fabriquant, par exemple, des visières. Deuxième déclic : si on voulait avancer, il fallait prototyper par nous-mêmes, petit à petit, prouver le POC, puis industrialiser — via impression 3D ou retour à l’injection si un jour c’est viable.

Troisième déclic : notre réinstallation en France. Après des années entre la France et la Tunisie (mes enfants sont nés en France), on s’est fixés en 2022. Je me suis dit : « Maintenant, je me consacre à QAWS ». J’ai acheté ma première imprimante 3D et, avec un ami ingénieur, on a travaillé six mois pour produire un premier prototype à l’échelle 1/5.

Tu as aussi été soutenue par ton entourage, non ?

Oui. Une amie cheffe d’entreprise m’a proposé de m’aider. Ma sœur et une amie d’enfance aussi. Avoir ce soutien moral change tout.

Côté entrepreneuriat, on n’est pas formés à ça en école d’archi/ingénieur. J’ai donc cherché à comprendre l’écosystème français : aides, ateliers, financements. J’ai frappé à la Miel (territoire de Plaine Commune). J’y ai rencontré Jérôme Cornart : il m’a conseillé le programme Les Essentiels (pour les femmes entrepreneures). De fil en aiguille, j’ai découvert la Pépinière d’entreprises de La Courneuve (gérée par la Miel).

J’ai passé leurs comités et j’ai obtenu un atelier (concours en mars 2024, installation en avril). C’était un risque sur fonds propres, sans grande visibilité. L’écosystème local permet de rencontrer des banques, BPI, Réseau Initiative… J’ai ainsi décroché un prêt d’honneur qui m’a donné de la trésorerie pour tenir un an-un an et demi et lancer le projet.

Et l’ambiance pépinière t’aide au quotidien ?

Oui, énormément. On n’est pas seul : il y a une fraternité entre entrepreneurs. On traverse tous des creux et ça aide à tenir. Dans Les Essentiels, le groupe féminin crée une vraie solidarité. Les formatrices sont de grande qualité. Au-delà des outils, on gagne un réconfort pour décider si on y va — ou pas. Pour certaines, comprendre que ce n’est « pas pour elles » n’est pas un échec : mieux vaut le savoir avant d’investir. Moi, j’ai eu peur, et j’ai décidé d’y aller quand même.

Où en es-tu aujourd’hui côté commercialisation ?

C’est la phase que j’appréhende le plus : la réalité du marché. Mon conseil : ne pas trop investir au début. Avoir un proto, rencontrer des clients et tester avant les grosses dépenses. Aujourd’hui, j’ai des rendez-vous, et déjà un premier client chez qui j’ai posé une pergola.

Peux-tu nous expliquer simplement ce qu’est QAWS ?

QAWS est un système constructif basé sur la mécanique de l’arc. D’où une légère arche dans nos poutres (on peut aussi faire droit). L’arc travaille en compression, il est plus solide : poussez sur l’arc, la force se répartit sur les côtés ; poussez sur une poutre droite, elle flèche au milieu.

Nos éléments s’emboîtent : des pièces en polymère (imprimées 3D) qui s’assemblent fortement ; une fois emboîtées, c’est irréversible pour garantir la solidité (on peut concevoir des versions démontables pour l’événementiel). Les pièces sont trouées : ce coffrage structurel est ensuite rempli de terre coulée.

C’est universel et local : le polymère peut être produit partout ; la terre est disponible partout (terre d’excavation, amendée, etc.). En France, l’acheminement de la terre est simple. QAWS, c’est un matériau et un process décarboné : pas de déchets de chantier, et une rapidité d’exécution (pas besoin d’attendre 28 jours comme pour le béton). C’est de la deep-tech : conception numérique et fabrication additive.

Et la vente, concrètement ?

Le milieu est procédurier et conservateur. Pour construire avec un matériau, il faut des certifications ; sans avis technique, les bureaux d’études bloquent. On cherche donc des pionniers qui acceptent les premières applications (comme la pergola posée à Cergy), puis le bouche-à-oreille fait son chemin. Notre catalogue est prêt.

Aujourd’hui, nous pouvons commercialiser tout ce qui ne nécessite pas, à ce stade, l’avis technique (ex. pergolas, extensions, cadres de fenêtres, linteaux), avec notes de calcul à l’appui. Pour les garages et les maisons, il faudra l’avis technique avant lancement.

Vos clients types et vos canaux ?

Nous sommes B2B, B2C et B2B2C. Les architectes sont centraux car ils prescrivent les matériaux. Les promoteurs, entreprises et enseignes (type Leroy Merlin, Point P, etc.) peuvent aussi être clients ou revendeurs, via partenariats, commissions, etc. Nous cherchons des partenariats solides pour accélérer la R&D, obtenir la certification et lever des fonds afin de développer un logiciel interne : un outil de dimensionnement (combien de pièces, temps de pose, etc.) pour scaler l’activité.

Un conseil pour un entrepreneur qui se lance dans une innovation comme la tienne ?

Commencer très petit tout en voyant grand. Ne pas s’engager dans de grosses dépenses trop tôt. Travailler sur un proto, aller voir des clients, récolter des retours pour itérer et pivoter si nécessaire (produit, process).

Il m’a fallu un an et demi pour bien prendre en main l’impression 3D. Constituez une équipe couvrant toutes les compétences clés (conception, numérique, fabrication, maintenance). Anticiper les paliers d’investissement : quand acheter une machine ? À quel moment c’est indispensable ? Et attention à la dette : on s’endette parfois, mais il faut rester mesuré.

Où peut-on te retrouver ?

Sur LinkedIn — j’y tiens une ligne éditoriale pour expliquer d’où vient QAWS, son positionnement, et ce que ça apporte au monde constructif. Nous avons aussi un site où l’on présente les produits, les précommandes et les contacts. J’aime nommer nos produits en référence à des ingénieurs et architectes qui nous inspirent — par exemple Guastavino pour une ossature porteuse, ou Freyssinet pour un autre type (précontrainte). Chaque nom renvoie à un esprit et à une histoire qui nourrissent notre vision.

Sally : Merci beaucoup, Dorra.

Merci beaucoup !

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